Un 2013 porte-bonheur

Que retenir de 2013? L’année des femmes lauréates: la sulfureuse palme d’or du Festival de Cannes («La vie d’Adèle» d’A. Kechiche), le prix Nobel de littérature, attribué à la reine de la nouvelle, la Canadienne anglophone Alice Munro et à la maîtresse de chais valaisanne Madeleine Gay, à la tête du team Provins, nommé «vigneronne suisse de l’année 2013». Mais aussi des champions britanniques, le cycliste Christopher Froome, vainqueur de son premier Tour de France, et le joueur de tennis Andy Murray, pour la première de ses deux victoires à Wimbledon…


Qui s’en souvient, honnêtement?

Il en va de même des particularités des vins. C’est avec surprise que notre trio de dégustateurs, avec Martin Kilchmann et Ulrich Sautter, a constaté que 88% des vins dégustés ont atteint les 17/20 nécessaire pour obtenir la mention des Swiss Wine Vintage Awards, alors que la moyenne annuelle est juste au-dessous de 70%.
 
Que ce soit les Pinots noirs des Grisons, les Chasselas vaudois ou les Merlots du Tessin, ces crus ont gardé une remarquable fraîcheur. Certains sont à leur apogée, procurant un grand plaisir à qui a su les attendre, mais la plupart ont gardé de la réserve pour «tenir», voire s’améliorer, dans le temps… Rares sont les millésimes qui peuvent prétendre à autant de succès!


Une météo très capricieuse

Et pourtant, grâce à Internet, il suffit de se plonger dans les annales en ligne pour constater que cette année-là fut exceptionnelle. Son printemps froid et humide, qui n’est pas sans rappeler 2023, laissait augurer de vendanges tardives, à partir de la mi-septembre et jusqu’au début novembre. Ce fut même le millésime le plus tardif depuis 1995 en Valais… Heureusement, un été chaud – jusqu’alors le septième plus chaud depuis les mesures de la météo en 1864 —, puis un bel automne ont sauvé la récolte. 

Mais cette année en dents de scie a coûté cher: la fleur s’est mal passée et la production en a pâti. Globalement, moins 20% en quantité sur l’ensemble de la Suisse. Moins 13% par rapport à 2012 en Valais et moins 25% de moins dans le canton de Vaud, les deux principaux cantons viticoles.

Et même moins 54% à Neuchâtel et dans la région des Trois-Lacs! Où cela s’explique par un accident climatique exceptionnel, un orage de grêle, l’après-midi du 20 juin 2013, qui a balayé le vignoble du pied du Jura, de Genève à Bienne. Au point que la plupart des vignerons concernés ont eu le droit d’aller chercher du raisin chez des confrères d’autres cantons. Ce qui n’enlève rien à leur qualité de vinificateur, comme en témoigne la distinction obtenue, à l’aveugle bien sûr, par les «Vins de Pays» du Domaine de Chambleau du Weingut Steiner Schernelz Village!


Petit rendement? Grande année!

En 2013, le petit rendement à la vigne a été synonyme de grande qualité en bouteille. Millerandage et coulure ont donné des baies petites et concentrées, parfaitement mûres au moment de la cueillette. On a pu le vérifier avec près de dix ans de recul!

Les pronostics étaient favorables dès la vendange rentrée. Les Valaisans rappelaient ainsi que le millésime tardif amène plus d’acidité, gage de fraîcheur, mais aussi de longévité. Chaque cépage est bien typé, avec des rouges «au bouquet exubérant», comme en témoigne, une fois de plus, le remarquable Cornalin de Denis Mercier, un des trois mieux notés des 106 vins dégustés.

Une région viticole s’est comportée à l’inverse des autres: le Tessin. Le canton transalpin affiche 10% de récolte en plus par rapport à la moyenne des dix années précédentes. Malgré cette relative «surproduction», le Merlot a gardé une belle fraîcheur et plusieurs des crus des producteurs les plus réputés se retrouvent avec d’excellentes notes.


Des blancs frais et fruités

En blanc, le Chasselas qui, à dix ans, ne révèle pas encore ses notes tertiaires, tient son rang dans le vignoble vaudois, où Calamin et Dézaley ont retrouvé officiellement leur rang d’«AOC Grand Cru» avec ce millésime. Ces deux «climats» de Lavaux avaient perdu leur rang lors de la refonte des Appellations d’Origine Contrôlée vaudoises, devenues régionales en 2009.

En Suisse alémanique, les blancs sont aussi aromatiques et fruités, comme en témoignent un étonnant Kerner et un Completer des Grisons.

2013, qui fut le plus petit millésime en quantité depuis longtemps en Suisse, et même depuis un demi-siècle en Valais, mérite qu’on s’en souvienne. Avec émotion et reconnaissance: les Swiss Wine Vintage Awards existent pour cela!

Pierre Thomas, membre du jury

Les vins gagnants

Le Swiss Wine Vintage Award 2023 a examiné à la loupe 106 vins du millésime 2013 de 77 vignerons et vigneronnes de toutes les régions viticoles de Suisse. 49 d'entre eux provenaient du trésor de la Mémoire des Vins Suisses. La dégustation s'est déroulée à l'aveugle, mais en tenant compte des cépages et de l'origine géographique. Le résultat a surpris même les dégustateurs: l'Award a été décerné à pas moins de 94 vins, dont 39 issus de la Mémoire du Trésor. Cela représente 88% de tous les vins dégustés. La moyenne à long terme est de 70%. Manifestement, le millésime 2013, qui a étonnamment bien vieilli, est meilleur que sa réputation.

Échelle d'évaluation
– 17 points: très bon
– 18 points: excellent
– 19 points: exceptionnel
– 20 points: hors classe

Membres du jury
– Hans Bättig, œnologue, chef de projet (hb)
– Ulrich Sautter, journaliste spécialisé dans le vin, responsable de la dégustation (us)
– Martin Kilchmann, journaliste spécialisé en vin (mk)
– Pierre Thomas, journaliste spécialisé en vin (pts)